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L’Oiseau de Prométhée

© Vincent Muteau

Mise en scène Camille Trouvé et Brice Berthoud – écriture Chrístos Chryssópoulos avec les co-metteurs en scène – traduction Anne-Laure Brisac – au Théâtre des Quartiers d’Ivry/scène nationale du Val-de-Marne.

Pour avoir dérobé le feu sacré de l’Olympe et en faire don aux humains, Zeus condamne Prométhée à être cloué à un rocher, sur le mont Caucase. Chaque jour un vautour lui dévore le foie, chaque nuit il renaît. Première strate du récit dans L’Oiseau de Prométhée à partir du caractère tragique du mythe, parabole évoquant la justice sociale et la répartition des biens.

À l’autre bout du temps, au milieu des années 2010, seconde strate du récit : la duperie des comptes publics par le bilan politique de la crise grecque dans les années Tsipras. Chef de l’opposition officielle dans ces années-là, nommé Premier ministre en janvier 2015, Tsipras fait des va-et-vient avec la prise de pouvoir – démission puis reconquête – organisant un référendum sur la dette publique grecque pour contrer les économies souterraines, avant de signer un accord avec les créanciers de la Grèce, mettant à mal l’identité et la fierté nationales d’un peuple. À la table des négociations, les politiques, représentés par des bustes et masques en papier mâché : Giórgos Papandréou, Christine Lagarde, Michel Sapin, Angela Merkel, d’un côté face à Prométhée et aux dieux d’un autre côté. Plus tard, autour de la table, le premier ministre grec Aléxis Tsípras, et son ministre de l’économie, Yánis Varoufákis, refusent de nouvelles mesures d’austérité, au risque de tout perdre.

© Vincent Muteau

La troisième strate se passe en 2023 autour de retrouvailles entre amis franco-grecs dont les idées, quinze ans plus tard et après le chaos politique de l’époque, divergent. Le décor grec est planté dans une imposante scénographie au cœur de la ville, comme une agora (signée Brice Berthoud, Maxime Boulanger et Adèle Romieu). Côté cour, un praticable sur lequel quelques spectateurs prennent place, au plus près des acteurs, côté jardin, la buvette tenue par les Parques. Sur les toits, le domaine de Prométhée et du vautour. Au centre, la table du banquet. Les bougies orthodoxes au début du spectacle donnent le contexte.

Dans la mythologie, les Parques sont trois sœurs, nommées Nona, Decima et Morta pour les Romains ; les Moires en grec, connues sous les noms de Clotho, Lachésis et Atropos. Elles portaient des couronnes faites de narcisses, de branches de chêne vert, ou d’or. La première est la fileuse, elle fabrique et tient le fil des destinées humaines ; la seconde, dont le nom fait référence à la répartition, déroule le fil et le met sur le fuseau. La troisième, l’inflexible, coupe le fil qui mesure la durée de la vie de chaque mortel. Les trois Parques de L’Oiseau de Prométhée s’inscrivent dans un registre léger et comique, elles papotent et s’affairent à la buvette dont elles ont la charge, sorte de taverne d’Ali-Baba. Elles portent des masques de papier, technique privilégiée de la compagnie Les Anges au plafond.

© Vincent Muteau

On va et vient d’un temps à l’autre et d’une histoire à l’autre sans trop de cohésion et le temps se dilue. De loin en loin un funambule traverse le plateau (Olivier Roustan), expression de l’équilibre instable du pays ? Prométhée et le vautour appartiennent au domaine de la fabrication savante de marionnettes. Esthétiquement c’est très réussi. Souleymane Sylla en est la voix, portant une veste dorée, il en fait brillamment récit au micro.  La musique conduit l’Oiseau dans les rythmes du Rebetiko, cette forme d’expression musicale populaire grecque qui rhizome entre différentes influences (composition musicale et interprétation live Stéphane Tsapis).

Pourtant quelque chose ne fonctionne pas du côté de la dramaturgie et du texte, étiré entre la mythologie, la crise économique de 2010 en Grèce et les conversations basiques de la bande des ex-amis. Entre les acteurs et la partie mythologie-marionnettes quelque chose ne prend pas et l’on est balloté entre différents registres de langue qui ne s’emboîtent guère, passant d’une planète à l’autre sans raccord.

© Fabrice Robin

Le texte est signé des co-metteurs en scène, Camille Trouvé et Brice Berthoud et du romancier, essayiste et traducteur grec Chrístos Chryssópoulos qui, à travers ses écritures, enquête sur sa ville, Athènes. Il a publié un certain nombre d’ouvrages dont La Destruction du Parthénon en 2012, qui ouvre des champs de réflexion sur l’art et la ville, l’Histoire et l’identité ; Terre de colère en 2015, où il pose le constat de l’incommunicabilité dans une société de surveillance, entre ceux qui possèdent la parole et ceux qui ne la possèdent pas et où grandit la colère ; Athènes-Disjonction en 2016 où face à trente-cinq photographies il écrit trente-cinq textes dans lesquels l’inquiétude côtoie l’admiration pour sa ville, secrète et blessée. À croiser trop de regards pour les nécessités du plateau le texte devient syncrétisme, brouillant les pistes et perdant en intensité.

Fondée en 2000 de la rencontre entre Camille Trouvé – qui s’est notamment formée à l’art de la marionnette à Glasgow et se reconnaît pour maître le metteur en scène et scénographe italien Fabrizio Montecchi – et  Brice Berthoud – circassien de formation, notamment fil-de-fériste et jongleur – la compagnie Les Anges au Plafond a présenté une quinzaine de spectacles où se mêlent poétique et politique : pour mémoire, Les mains de Camille ou le temps de l’oubli, sur le destin tragique de Camille Claudel, où l’on entrait dans l’intimité de l’atelier de la sculptrice, le carnaval de la vie à travers Le Bal marionnettique, la descente aux enfers d’un homme dans Le Horlà, et la Grèce à l’honneur à travers Une Antigone de papier et Au fil d’Œdipe. Depuis octobre 2021, les metteurs en scène co-dirigent le Centre dramatique national de Normandie-Rouen, et développent un projet à vocation transdisciplinaire.

Ècartelé entre le banquet des hommes et des dieux et la table des négociations politiques nettement moins onirique, l’Oiseau de Prométhée est brillant du côté de la fabrication et de la manipulation des marionnettes et des visions plastiques proposées. Il l’est moins du côté de l’Histoire en pièce et du grand-écart entre les temps dans lesquels le spectateur cherche sa route sans trop de conviction. Un spectacle à tire-d’aile où, comme dans L’Albatros de Baudelaire, « ses ailes de géant l’empêchent de marcher… «

Brigitte Rémer, le 20 février 2024

Avec – autour de la table :  Rhiannon Morgan, Victoire Goupil, Souleymane Sylla, Achille Sauloup – marionnettiste Christelle Ferreira – sur le fil Olivier Roustan – complicité artistique et poétique Jonas Coutancier – composition musicale et interprétation live Stéphane Tsapis – dramaturgie Saskia Berthod – économiste de référence Romain Zolla – création marionnettes et univers plastique Amélie Madeline, Séverine Thiébault, Camille Trouvé, Jonas Coutancier, Magali Rousseau avec l’aide de Caroline Dubuisson – scénographie Brice Berthoud avec Maxime Boulanger et Adèle Romieu – patines Vincent Croguennec avec l’aide d’Alexa Pinaud – création costumes Séverine Thiébault – direction et composition musicale Emmanuel Trouvé – création et régie lumière Louis de Pasquale – création et régie son Tania Volke – création vidéo Jonas Coutancier – régie Générale Adèle Romieu – régie Plateau Philippe Desmulie en alternance avec Yvan Bernardet – construction des décors : Les ateliers de la maison de la Culture/scène nationale de Bourges et Salem Ben Belkacem – production : Centre dramatique national de Norùandie/Rouen – Les Anges au plafond.

Vu le 8 février 2024, au Théâtre des Quartiers d’Ivry-Manufacture des Œillets/CDN du Val-de-Marne, Ivry-sur-Seine, site : theatre-quartiers-ivry.com. En tournée : 21 et 22 février, Maison de la Culture d’Amiens/Pôle européen de création et de production (80) – 7 et 8 mars Les Passerelles/Scène de Paris, Vallée de la Marne à Pontault-Combault (77) – 21 et 22 mars, Festival Marto Malakoff scène nationale (92) – 26 mars,  Théâtre Paul Eluard ~ Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité linguistique | Choisy-le-Roi (94) – 3 et 4 avril La Comédie de Caen/CDN de Normandie et Le Sablier/Centre National de la Marionnette à Hérouville-Saint-Clair (14). Site : www.lesangesauplafond.fr